La nicotinothérapie

La nicotine peut-elle être une alternative thérapeutique pour la maladie de Parkinson ?

Le tabac et le risque de développer la maladie de Parkinson

Des études épidémiologiques à large échelle ont suggéré un lien inverse entre la cigarette et la maladie de Parkinson : l’incidence de la maladie de Parkinson serait plus faible chez les fumeurs. Cet effet préventif augmente de façon proportionnelle avec la durée du tabagisme et la quantité de cigarettes fumées. Il semble également que l’effet diminue chez les ex-fumeurs, en fonction du temps écoulé après l’arrêt de la consommation. Ces conclusions sont corroborées par des études de jumeaux discordants* qui indiquent que le jumeau fumant « plus » a moins de risque de développer la maladie de Parkinson que le jumeau fumant « moins ».
Le même lien inverse avec la maladie de Parkinson est observé chez les personnes qui fument la pipe ou le cigare, et celles qui mâchent ou sniffent le tabac.

*Des jumeaux discordants sont des jumeaux dont un seul est atteint de la maladie

La nicotine

La cigarette en soi a des effets dangereux dus à la présence de nombreuses substances nocives comme par exemple les goudrons. Fumer des cigarettes ne peut donc, et ce d’aucune façon, être envisagé comme une stratégie thérapeutique pour la maladie de Parkinson. Afin de comprendre les mécanismes liés aux effets bénéfiques que pourrait avoir le tabac, et éliminer ses effets nocifs, l’intérêt des chercheurs s’est concentré sur un des nombreux composés du tabac, la nicotine.

Qu’est que la nicotine ?

La nicotine est un analogue de l’acétylcholine, neuromédiateur bien connu pour son action sur les neurones du système nerveux central. A l’instar de la dopamine qui agit au travers des récepteurs à la dopamine, la nicotine se lie à des récepteurs qui lui sont spécifiques, les récepteurs cholinergiques nicotiniques. Dans le cerveau, l’interaction de la nicotine avec ses récepteurs produit des effets divers, comme par exemple moduler les fonctions dopaminergiques et stimuler la production de facteurs neuroprotecteurs.

Les études précliniques

Des études dans des modèles cellulaires ont montré que la nicotine possède une importante propriété anti-oxydante et peut protéger les cellules contre l’action néfaste de toxines. Des expériences menées dans des modèles animaux de la maladie de Parkinson ont également suggéré que la nicotine pourrait permettre une réduction de la perte de neurones dopaminergiques chez les animaux rendus parkinsoniens et possèderait donc un potentiel neuroprotecteur. Dans ces mêmes modèles, des effets significatifs permettant une amélioration des symptômes moteurs n’ont encore pu être démontrés de façon consistante.
Les résultats précliniques globalement prometteurs ont encouragé le début d’essais cliniques afin d’évaluer les effets d’un traitement à la nicotine pour la maladie de Parkinson chez l’homme.

Les essais cliniques

Les essais conclus

L’utilisation de la nicotine comme stratégie thérapeutique de la maladie de Parkinson chez l’homme reste très controversée. Des études portant sur l’efficacité de la nicotine, prise par voie orale (chewing-gum) ou transdermale (patch) sur une durée de plusieurs mois, ont abouti à des résultats contradictoires. Certains essais cliniques démontrent une amélioration chez des patients atteints de la maladie de Parkinson ayant pris la nicotine, alors que dans d’autres essais une absence d’efficacité voire une aggravation des symptômes est observée suite à la prise de nicotine.
Ces discordances pourraient être liées aux caractéristiques et au déroulement propre des différents essais. En règle générale, on note que les essais effectués en double-aveugle [1] ont mené à des résultats négatifs (aucun effet du traitement à la nicotine) alors que des essais en ouvert [2] ont donné des résultats positifs (amélioration des symptômes grâce au traitement à la nicotine). Une autre source de discordance pourrait aussi provenir du fait que des dosages très variables, et généralement peu élevés, de nicotine ont été utilisés dans les diverses études.
Une étude pilote récente, réalisée en ouvert à l’Hôpital Mondor avec six patients, à un stade avancé de la maladie de Parkinson, suggère que l’administration transdermale de doses élevées de nicotine et sur une longue période (105mg de nicotine/jour pendant 17 semaines) permettrait une amélioration des symptômes moteurs et une réduction du traitement dopaminergique.

[1] Un essai clinique en double aveugle est un essai dans lequel ni le patient ni le médecin ne connaissent le traitement qui est reçu. Ce type d’essai est le seul à permettre une évaluation objective de l’effet d’un médicament.
[2] Un essai clinique en ouvert est un essai dans lequel le patient et le médecin connaissent le traitement qui est reçu. Son interprétation doit rester prudente, car l’effet placebo (de l’ordre de 30% d’amélioration) est souvent présent.

La nicotine transdermale – les essais en cours

A notre connaissance, il n’y a actuellement que deux essais cliniques qui évalueraient l’effet de la nicotine transdermale chez des personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
Suite aux résultats préliminaires encourageants de l’étude pilote effectuée à l’Hôpital Mondor, une étude de phase II à plus large échelle (40 patients) a débuté en 2009 et s’est conclue en 2013 (NICOPARK2 ; NCT00873392). L’étude se proposait d’évaluer l’effet de la nicotine sur les symptômes moteurs de la maladie mesurés en « off » et en « on » grâce à l’échelle UPDRS (Unified Parkinson’s Disease Rating Scale) chez des patients à un stade avancé de la maladie de Parkinson. L’étude s’est déroulée en simple aveugle avec des doses élevées de nicotine (90 mg, ou plus si toléré), pendant 28 semaines. Après 28 semaines, le traitement était diminué progressivement sur un intervalle de 6 semaines jusqu’à l’arrêt complet de l’administration de nicotine et suivi d’une période de 5 semaines sans traitement pour éliminer toute trace de nicotine dans l’organisme (période de wash-out). Les symptômes ont été mesurés avant, pendant et après la prise de nicotine et la présence de corrélation entre le traitement avec nicotine et les score UPDRS devrait être déterminée.
Cette étude est terminée et les résultats devraient être prochainement publiés.
Une étude clinique de phase II, multicentrique et multinationale impliquant des hôpitaux américains et allemands afin d’évaluer les effets neuroprotecteurs de la nicotine administrée par voie transdermale est actuellement en cours (NCT01560754). Cette étude est effectuée en double aveugle et contrôlée par placebo, c’est-à-dire que toutes les personnes enrôlées dans l’étude reçoivent des patchs contenant soit de la nicotine soit un traitement placebo, mais ni les patients ni les médecins ne connaissent le traitement reçu. L’étude propose d’évaluer l’efficacité d’un traitement à la nicotine à long terme (7-28 mg/jour pendant 12 mois) sur la progression de la maladie, chez des patients à un stade très précoce de la maladie de Parkinson, à travers l’évolution des symptômes mesurés grâce à l’échelle UPDRS. Après 12 mois, le traitement sera diminué progressivement jusqu’à l’arrêt complet de l’administration de nicotine. Le changement du score UPDRS entre le début et la fin de l’étude permettra de déterminer l’effet du traitement chronique avec la nicotine sur la progression de la maladie.
L’étude a permis le recrutement de 160 patients à un stade précoce de la maladie de Parkinson, diagnostiqué depuis moins de 18 mois, et pour lesquels aucun traitement dopaminergique n’avait débuté ou n’était envisagé dans les 12 mois suivant le recrutement. Le traitement avec un inhibiteur des MAO-B (selegiline 10mg ou rasagiline 1mg) était autorisé.
Cette étude est terminée et les résultats sont en cours d’analyse.

Conclusions

Les études précliniques et certaines études cliniques suggèrent que la nicotine pourrait avoir un effet bénéfique pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Les conditions d’administration de la nicotine (voie, doses et durée du traitement) doivent toutefois encore être définies plus précisément. Comme pour tout médicament, une évaluation attentive des effets secondaires possibles, tels qu’un changement important de la pression artérielle, des nausées et des maux de tête, surtout pour des doses élevées de nicotine, est à effectuer. Le problème de la tolérance à la nicotine et donc de l’efficacité du traitement à plus long terme reste aussi à définir.
Dans l’état actuel des données, les effets de la nicotine transdermale dans le traitement de la maladie de Parkinson chez l’homme semblent encourageants mais ne sont pas encore clairement démontrés. Les résultats et les conclusions des essais conclus récemment sont attendus par la communauté scientifique et apporteront des informations supplémentaires quant à l’efficacité du traitement.